dimanche 29 juillet 2012

De quoi Samoëns est-il le nom ?

Les sciences dites molles, par opposition aux sciences dures, ont un énorme avantage sur ces dernières : elles permettent à n'importe qui de dire à peu près n'importe quoi sans qu'il soit possible de démontrer la fausseté de quelque affirmation que ce soit.
La toponymie fait partie de ces sciences dites molles. C'est à elle que je vais m'intéresser ici, en commençant par Samoëns.
Une petite définition pour commencer, tirée de Wikipedia :
« La toponymie (du grec tópos, τόπος, lieu et ónoma, oνομα, nom) est la science qui étudie les noms de lieux, ou toponymes. Elle se propose de rechercher leur signification, leur étymologie, leur évolution et leur impact sur les sociétés. Avec l'anthroponymie (étude des noms de personnes), elle est l'une des deux branches principales de l'onomastique (étude des noms propres), elle-même branche de la linguistique.
Outre l'étude des noms de lieux habités (villes, bourgs, villages, hameaux et écarts) ou non habités (lieux-dits), la toponymie étudie également les noms liés au relief (oronymes), aux cours d'eau (hydronymes), aux voies de communication (odonymes, ou hodonymes). »
L'origine de la dénomination Samoëns (qui se prononce Samoin) a fait l'objet de nombreuses hypothèses, plus ou moins vraisemblables, toutes plus savantes les unes que les autres.
J'ai rassemblé ici toutes celles que j'ai trouvées dans la littérature (voir la bibliographie en fin de ce billet). Comme il est à peu près impossible, en matière de toponymie, d'apporter des preuves irréfutables tant de vérité que d'erreur, et que les experts sont partagés, chacun reste libre de choisir celle qu'il préfère.
Le premier document écrit connu sur lequel apparaît, sous la forme Samoen, le nom de la ville de Samoëns, date de 1167 : il s'agit de la charte par laquelle l'évêque de Genève Arducius de Faucigny fait don de l'église de Samoëns à l'abbaye de Sixt, fondée et dirigée par son frère Ponce de Faucigny.
Jusqu'au XIXème siècle, on trouve dans les registres les graphies Samoyn, Semoeng, Samoën, Samoen, Samoeng, .... Le "s" final, ainsi que le tréma sur le e, ne se sont introduits qu'au XIXème siècle.

1. Une première (?) hypothèse a été proposée en 1806 par Jean-François Albanis Beaumont (1753-1810), ingénieur et géographe savoyard, qui a publié de nombreux ouvrages sur ses voyages dans toutes les Alpes.
Comme on le sait, Samoëns est situé au confluent de deux torrents, le Clévieux et le Giffre.
Selon Albanis Beaumont, Samoëns, qu'il écrit Samoin en conformité avec sa prononciation, serait issu du celte sa-amhuin, qui signifie entre rivières (amhuin étant un mot celtique signifiant rivière, à rapprocher du mot latin amnis). L'équivalent celte de l'occitan Entraigas (cf. Entraigues), en quelque sorte.

2. Une autre hypothèse est évoquée en 1869 par F-D. Riondel , l'homme qui a découvert le premier sceau connu de la ville, daté de 1644. Elle ferait dériver le nom de Samoëns des sept sommets, ou sept montagnes, qui l'entourent, à savoir la Tête de Verchaix, la Bougeoise, les Suets, la Pointe du Tuet, l'Aiguille du Criou, la Pointe du Trapechet, et les Pendants.
Le mot Samoëns dériverait ainsi du patois sa (sept) moens (monts).
Cette étymologie est très semblable à celle que que donnait en 1807 Jean-Louis Grillet dans son Dictionnaire Historique, Littéraire et Statistique des Départements du Mont-Blanc et du Léman, citant les noms latinisés de Septimontium, ou vallis septem montium, vallée des sept montagnes.
Ces deux dernières hypothèses auraient le mérite de rapprocher l'étymologie de la ville de son blason , qui comporte une représentation de sept sommets, ainsi que du nom donné aux habitants de Samoëns, les Septimontains (voir aussi ici).

3. Hyppolite Tavernier, dans son Histoire de Samoëns publiée en 1905, avance une hypothèse plus savante encore. Selon lui, le nom de Samoëns serait d'origine burgondo-germanique (les découvertes archéologiques faites dans la haute vallée du Giffre semblent attester le peuplement burgonde.
Les Burgondes portaient des noms germaniques. Ils désignaient un domaine agricole du nom de son propriétaire complété par le suffixe -ing (ou -inga, -ingen, ...), qui signifie "de" ou "chez". Ce suffixe a été latinisé en ingos, devenu -ens, -eins, -ein ou -ans en Occitanie. Ainsi Samoëns serait-il une déformation de Samodens, qui dériverait lui-même de Sânemôdingos, «chez les Sanemod». Le nom propre Sanemod ou Senamod, signifiant "d´humeur conciliante", serait une combinaison des mots germaniques sonjan, calmer, concilier, et môda, humeur (qui a donné le mot anglais mood).
Les suffixes -ans, -ange, -eins, -enge ou -inge, sont effectivement fréquents dans les noms de lieux de la région (cf. Taninges, Lucinges, Allinges, ...). L'ancienne graphie Semoeng semblerait aussi conforter cette hypothèse.
Samoëns serait donc le pays de l'homme calme.

4. Gilbert Künzi, dans son ouvrage "Lieux-dits entre Dranse et Arve", rapporte une autre hypothèse, avancée par Castor et Tanghe en 1982.
Samoëns aurait pour radical Samo, qui se prononce Chamo, dérivé de cha, signifiant le pré, et de monné, signifiant une hauteur : Samoëns serait ainsi le pré d'en haut. Cette hypothèse serait cohérente, selon Künzi, avec la prononciation patoise de Samoëns, Chaman.
Cette étymologie serait identique à celle de Chamonix. Voici, concernant cette dernière, ce qu'en dit René Siffointe sur son blog http://toponymage.free.fr/index.htm: "Dans les plus vieux textes connus, Chamonix est désigné sous les mots latins 'Campus minutus'. Ce nom fut traduit par de nombreux latinistes comme 'champ muni', c'est-à-dire 'Champ fortifié'. Ensuite, chacun a voulu trouver une autre explication, puisque la première semblait inadéquate. Pour les uns, le lieu était riche en chamois ; pour d'autres, il était le champ du meunier ('chan mouni'). En fait, le nom 'Chamonix' est constitué de deux mots, 'cha' et 'moni'. Le premier signifie 'pré' ou 'champ plutôt rocailleux' ; le second dérive du gaulois 'monné', mot désignant 'un mont', 'une hauteur'. Ainsi, la dénomination Chamonix indique un pré situé en hauteur."
5. J'ajouterais volontiers une autre hypothèse, de mon cru cette fois (mais je serais surpris d'être le premier à l'avoir imaginée).
En patois dauphinois, moine se dit moueino - et j'imagine que le o final est quasi-muet. Or les alpages de Samoëns ont été, au Moyen-Age, exploités au profit d'abord de l'abbaye de Saint-Jean d'Aulps, puis de celle de Sixt (voir Histoire de Samoëns: Sept montagnes et des siècles, de Colette Gérôme).
C'est d'ailleurs, comme je l'indique plus haut, à l'occasion de la donation de l'église de Samoëns à l'abbaye de Sixt que le nom de Samoëns apparaît pour la première fois par écrit, sous la forme Samoen.
Pourquoi alors ne pas imaginer que Samoëns signifie, en patois, le pré aux moines, cha - moueino ?
6. Allez, encore une petite.

En ancien français, le mot moing signifie "estropié, manchot". C'est de là que vient notre mot moignon. Ce mot descendrait du latin mundiare, "couper pour rendre propre" (de mundus, élégant, propre, pur - cf. le français immonde). On a aussi en ancien français les verbes moignier ou esmoigner, mutiler (cf. le français émonder). Le nom de Samoëns - qu'on écrivait à une époque Samoeng, et qu'on prononçait en patois Chamoen - pourrait ainsi être une combinaison de cha, le pré, et moing, l'estropié : Samoëns signifierait ainsi "le pré du manchot", cha - moing.

Je suis assez content de celle-là.
7. Et une dernière, pour la route.
En ce temps-là, il y a fort longtemps, au confluent du Giffre et du Clévieux, dans un village qui n'avait pas encore de nom, vivait un groupe de moines. Ils passaient leurs journées à se promener, tranquilles, dans les sept montagnes qui entourent le village, ramassant des champignons ou cueillant des myrtilles, et à pêcher dans les torrents en louant Dieu de les avoir conduits dans un lieu si ressemblant au Paradis.
Un jour l'évêque de Genève, recevant la visite d'un collègue africain francophone (si l'on peut dire, la francophonie étant à l'époque une réalité encore en devenir) de passage en Savoie, décida d'emmener son hôte faire un pique-nique dans cette belle vallée au bord du Giffre, où des moines de sa juridiction pourraient les accueillir.
Les deux prélats furent effectivement reçus à bras ouverts par les occupants du lieu, encore peu habitués aux touristes. Les moines invitèrent leurs visiteurs à une partie de pêche (à l'époque, on ne pratiquait guère la descente du Giffre en rafting).
L'évêque d'Afrique, impressionné par l'habileté des moines à ferrer la truite, répétait avec éme'veillement: "ça mo', hein ! ça mo', hein !"
Les moines, qui n'avaient jamais vu, ni encore moins entendu, d'Africain, ne comprenaient pas ce qu'il voulait dire, mais trouvaient cela fort amusant. Et ils se mirent tous à répéter avec lui : "ça mo', hein ! ça mo', hein !".
De retour dans sa résidence d'Annecy, l'évêque de Genève rapporta le récit de son excursion dans son grand registre. Et voici ce qu'il nota : "Les moines qui occupent ce lieu charmant vont sans cesse répétant Samo'in, Samo'in. J'en conclus que c'est le nom qu'ils donnent à cet endroit."

Bibiographie
"Lieux en mémoire de l'alpe: Toponymie des alpages en Savoie et Vallée d'Aoste", Hubert Bessat et Claudette Germi
"Lieux-dits entre Dranse et Arve: Chablais savoyard et Faucigny", Gilbert Künzi
"Mont-Blanc: conquête de l'imaginaire", Paul Guichonnet, Marie-Christine Vellozzi, Philippe Joutard, Marie-Thérèse Vercken, Hugues Lebailly
"Toponymie générale de la France", Ernest Nègre
"Montagnes romandes à l'assaut de leur nom", Gilbert Künzi et Charles Kraege
"Voyage pittoresque aux Alpes Pennines", Jean-François Albanis Beaumont
"Description des Alpes grecques et cottiennes, ou Tableau historique et statistique de la Savoie", Jean-François Albanis Beaumont
"Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW)", Walther von Wartburg
"Itinéraire descriptif de la Suisse et du Jura français", Adolphe Joanne
"Dictionnaire étymologique des noms de lieu de Savoie", Adolphe Gros
"Dictionnaire Historique, Littéraire et Statistique des Départements du Mont-Blanc et du Léman", Jean-Louis Grillet
"Dictionnaire Des Patois Du Dauphiné, Volumes 1 à 2", Nicolas Charbot, Hector Blanchet, Hyacinthe Gariel
"Histoire de Samoëns", Hyppolite Tavernier
"Samoëns (Trésors de la Savoie)", Claude Castor et Jean-François Tanghe
"Histoire de Samoëns: Sept montagnes et des siècles", Colette Gérôme
"Les armoiries et le nom de Samoëns", François-Désiré Riondel, in Revue savoisienne, 1869 http://toponymage.free.fr/index.htm (René Siffointe)
http://henrysuter.ch/glossaires/toponymes.html
http://termesregionauxetnomsdelieux.blogspot.fr/2002/03/blog-post.html
http://www.envoiedugros.fr/pdf/dico_fr_sav.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:Accueil_principal

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