samedi 26 mars 2011

Samoëns, le pays des hommes tranquilles aux sept montagnes


Le premier document écrit connu sur lequel apparaît, sous la forme Samoen, le nom de la ville de Samoëns, date de 1167 : il s'agit de la charte par laquelle l'évêque de Genève Arducius (ou Ardutius) de Faucigny fait don de l'église de Samoëns, c'est-à-dire de ses revenus, à l'abbaye de Sixt, fondée et dirigée par son frère Ponce de Faucigny (personne ne semble avoir à l'époque accusé l'évêque d'abus de bien ecclésial, ni de prise illégale d'intérêt !).

Jusqu'au XIXème siècle, on trouve les graphies Samoyn, Semoeng, Samoën, Samoen, Samoeng, .... Le "s" final, ainsi que le tréma sur le e, ne sont définitivement fixés qu'au XIXème siècle - ce qui corrobore, au passage, le fait que Samoëns se prononce Samoin - ce qui, toujours au passage, permet de reconnaître immédiatement les touristes, qui prononcent le plus souvent Samoinsse, même lorsqu'ils ne viennent pas de Marseille.

Selon l'hypothèse la plus généralement admise, et soutenue notamment par Hyppolite Tavernier, auteur d'une Histoire de Samoëns publiée en 1905 (*), le nom de Samoëns serait d'origine burgondo-germanique. Les Burgondes portaient des noms germaniques, et ils désignaient un domaine agricole du nom de son propriétaire complété par le suffixe -ingos (ou -inga, -ingen, ...), qui signifie "de" ou chez". Ainsi Samoëns serait-il une déformation de Samodens, qui dériverait lui-même de Sânemôdingos, "chez les Sanemod". Le nom propre Sanemod ou Senamod, signifiant "d´humeur conciliante", serait une combinaison des mots germaniques sonjan, calmer, concilier, et môda, humeur.

Les suffixes -ans, -ange, -eins, -enge ou -inge, fréquents dans les noms de lieux de la région (cf. Taninges, Lucinges, Allinges, ...), auraient la même origine. L'ancienne graphie Semoeng semblerait conforter cette hypothèse.

Samoëns serait donc le pays des hommes tranquilles ...

Au passage, il est amusant de constater que le mot désignant Samoëns en langage mourmé, Mannedigne, est presque une anagramme de Sânemôdingos. Sans doute un hasard ...

Parmi les autres hypothèses sur l'origine du nom de Samoëns (voir ici), l'une d'elles, évoquée notamment par F-D. Riondel, découvreur au XIXème siècle du premier sceau connu de la ville, daté de 1644, ferait dériver le nom de Samoëns des sept sommets, ou sept montagnes, qui l'entourent, à savoir la Tête de Verchaix, la Bougeoise, les Suets, la Pointe du Tuet, l'Aiguille du Criou, la Pointe du Trapechet, et les Pendants. Samoëns dériverait ainsi tout simplement de sa, sept, et moen, mont, montagne. C'est aussi l'étymologie que donne par exemple Jean-Louis Grillet dans son Dictionnaire Historique, Littéraire et Statistique des Départements du Mont-Blanc et du Léman (il cite également le nom latinisé de Septimontium, ou vallis septem montium). Évidemment, on pense à Rome et ses sept collines ...

Cette hypothèse est certainement fausse. Et pourtant Samoëns est bel et bien le pays des sept montagnes, comme le montrent aussi bien le blason de la ville, qui représente les sept montagnes sous la forme de sept sommets, que le nom de ses habitants, les Septimontains. L'absence de lien direct entre le nom de la commune et celui de ses habitants ne serait d'ailleurs pas un cas isolé dans la région : ainsi, les habitants de Verchaix sont les Lhottis, ceux de Taninges les Jacquemards ... même si, dans le cas de Samoëns, l'"inventeur" du gentilé septimontain croyait sans doute se conformer à l'étymologie du lieu.

Mais quelles sont donc les sept montagnes des Septimontains ?

En Savoie comme dans d'autres régions de moyenne montagne, le terme montagne désigne un alpage (on parle par exemple de montagne à lait, ou de montagne à viande, selon le type de bétail qu'on y fait paître) : il est donc plus que probable que les sept montagnes du blason de Samoëns, comme celles du gentilé de ses habitants, fassent référence aux alpages qu'utilisaient les Septimontains, plutôt qu'aux sommets qui les environnent (cf. la délibération de 1739 citée plus bas).

Pour les habitants de Samoëns, dont l'élevage était, jusqu'au siècle dernier, la principale activité et la principale ressource, les alpages constituaient des enjeux vitaux. Il est donc naturel qu'ils y aient attaché une importance considérable.

Pour commencer, j'ai tenté de faire la liste de tous les alpages mentionnés soit par les historiens de Samoëns (*), soit par les archives de Samoëns. Voici cette liste :
- alpages utilisés par les habitants de Morillon (qui, jusqu'au XVIème siècle, était rattaché à Samoëns) et de Vercland, situés sur la rive gauche du Giffre : Gers, Vaconnant et les Glaciers, Tête Pelouse
- alpage utilisé par les habitants de Vallon : Criou
- alpages utilisés par les habitants des hameaux de Verchaix, Villard, Secouen, Mathonex, la Combe, les Allamands, la Rosière, les Turches, les Chosalets, Lachat, Bérouze, Chantemerle, et ceux de la Lanche et du bourg de Samoëns : l'Avouille (écrite Lavullie ou la Vullie ou la Vully), Bostan, Chardonnière, Cuidex, Folly, Fréterolle, Nion, Oddaz, Rontine, Vigny, Vorsitorie.
Les alpages de la rive gauche du Giffre (Gers, Vaconnant et les Glaciers, tête Pelouse) n'ont guère eu d'histoires : ils n'ont donc pas de raison de figurer dans la liste des sept.

Celui appelé "du Criou" n'est mentionné que par C. Gérôme (pas le chanteur, l'historienne) (*), dans son Histoire de Samoëns, à propos de la réalisation du cadastre sarde au XVIIIème siècle. Il ne fait pas partie non plus de la liste des sept - sans doute parce qu'il n'était utilisé que par les habitants de Vallon, et qu'il n'a lui non plus fait l'objet d'aucun litige.

L'alpage de Rontine, situé au voisinage du col de Joux-Plane, a fait l'objet de conflits récurrents entre les habitants de Samoëns (principalement de Verchaix) et ceux des Gets et de Morzine jusqu'en 1580, date à laquelle il a été définitivement attribué à ceux de Samoëns par le Sénat de Savoie.

L'alpage de Nion (ou Néon, aujourd'hui Nyon), voisin de celui de Rontine, n'a non plus guère fait parler de lui. Il semble n'avoir été utilisé que par les habitants de Verchaix.

Restent les autres alpages, situés sur la rive droite du Giffre, entre les Allamands et la vallée de la Dranse de Morzine, de part et d'autre du col de Golèse : l'utilisation des ces alpages par les habitants de Samoëns a fait l'objet de nombreux litiges, et de nombreux textes - et ce sont eux qui ont fini par être dénommés les sept montagnes.

Un premier texte très important concernant ces alpages est un jugement de 1436 du premier Duc de Savoie, Amédée VIII. Ce jugement tranche en faveur des hommes de Samoëns le litige qui les opposait à l'abbaye de Saint-Jean d'Aulps à propos de la possession des montagnes de Fréterolles (Fruyterolaz), Chardonnière, Cuidex (Cuydey), Vorsitorie, Bostan, Vigny.

Le nom de Vorsitorie inscrit dans le jugement de 1436 était une erreur. Elle a été rectifiée par un texte de 1462 signé par le Duc Louis de Savoie, successeur d'Amédée VIII : il s'agit en fait de la montagne de Borsitani, ou Borsetans, ou Bossetan, c'est-à-dire de Bostan.

Ainsi, Vorsitorie et Bostan n'étant qu'une seule et même montagne, la liste d'Amédée VIII ne comporte encore que cinq montagnes. Il en manque deux, si je compte bien, pour en faire sept ...

La liste se complète progressivement. En 1455 apparaît un nouveau nom : celui de la Vully (l'Avouille). Et le texte de 1462 du Duc Louis de Savoie, mentionné plus haut, en ajoute deux autres : Oddaz, et Folliet (Folly). Ils sont maintenant huit ... un de trop, donc !

L'expression les sept montagnes apparaît, selon H. Tavernier, dès 1589. On la retrouve dans une délibération de 1739, rédigée ainsi (citée par H. Tavernier) : "Les bourgeois de ... Samoëns ... ont des montagnes qui s'appellent les sept montagnes, savoir : Fréterol, Chardonnière, Vigny et Cuidex, La Vullie, Bossetan, Oddaz et Folly". Sept montagnes, et huit noms : il y a donc un intrus. Mais lequel ? Les rédacteurs de ce texte, qui connaissaient les chiffres, et les lettres, ont probablement voulu indiquer que "Vigny et Cuidex" ne faisaient qu'une seule et même montagne - ce qui aurait permis de conclure que, cette fois, le compte était bon. Et pourtant ...

En 1753, la montagne de Cuidex est vendue : nous voilà donc, cette fois, avec sept alpages tout rond. Tiendrait-on là la véritable explication ? Malheureusement non, car la dénomination sept montagnes est antérieure de près de deux siècles à la vente de Cuidex. Comme un malheur n'arrive jamais seul, l'explication précédente est également mise à mal : car si on a vendu Cuidex, est-il vraisemblable qu'on ait considéré auparavant que Vigny et Cuidex ne formaient qu'un seul alpage ? D'ailleurs, aucun des textes précédents ne mentionnait cette prétendue liaison entre Vigny et Cuidex. On n'a donc toujours pas la solution ...

Les montagnes de Samoëns sont finalement comme les mousquetaires d'Alexandre Dumas : les sept montagnes étaient huit, comme les trois mousquetaires étaient quatre ... Le mystère n'est donc pas encore tout à fait éclairci, du moins pour ce qui me concerne. Et il reste à trouver où se situent précisément ces sept montagnes ... A suivre, donc.

(*) Sources : Hyppolite Tavernier, Histoire de Samoëns, 1905 ; F-D. Riondel, in Revue Savoisienne n° 8, 31 août 1869 ; Jean-Louis Grillet, Dictionnaire Historique, Littéraire et Statistique des Départements du Mont-Blanc et du Léman, T.3, 1807, p.346 ; Colette Gérôme, Histoire de Samoëns, 2004).

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